Avec sa nouvelle pièce à l’affiche au Centre du Théâtre d’Aujourd’ hui, Sarah Berthiaume nous sert une brillante fable surréaliste sur l’aliénation professionnelle. Avec Nyotaimori, la prolifique dramaturge nous pousse à réfléchir, avec une bonne dose d’ironie, sur le sens et l’importance que nous donnons au travail, aussi bien chez nous, qu’ailleurs dans le monde.

La pigiste piégée

Nyotaimori s’amorce avec Maude, travailleuse autonome qui effectue une série d’entrevues auprès de grandes entreprises, dans le cadre d’un dossier sur les métiers d’avenir, où devrait régner en principe une grande liberté.

Son incursion au sein d’une agence de publicité hyper branchée lui apportera certaines désillusions. Sous le couvert d’une atmosphère de création ludique et débridée, elle découvre plutôt une machine qui croule sous la pression.

Un concepteur mené à la baguette par une directrice conseil autoritaire, elle-même sur le bord du burn out,  sont victimes de leurs deux principaux clients exigeants : une marque de lingerie féminine et un manufacturier automobile.

Au deuxième tableau, le sentiment de liberté du travail de pigiste est durement mis à l’épreuve. Nous retrouvons Maude, chez elle dans son condo. Elle tente désespérément de mettre un point final à son document de recherche.

Quant à sa conjointe, une enseignante un peu désabusée, elle veut savourer avec elle leurs premières heures de vacances.

Leur fameux road trip à la Thelma et Louise dans le sud des États-Unis aura-t-il lieu comme prévu?

L’auteure mêle les cartes

La table est mise, les enjeux semblent clairs. Mais c’est mal connaître Sarah Berthiaume qui encore une fois, mêle les cartes et nous entraîne dans des zones dramatiques insoupçonnées.

La conjointe de Maude partira seule, excédée par la vie professionnelle de son amoureuse. Notre héroïne quant à elle, embourbée dans son désir de performer, fera les frais de sa dépendance au travail.

S’ensuivra, un enchevêtrement surprenant de tableaux qui, comme dans un délire, oppose des réalités vécues et transformées qui ont, à priori, rien à voir les unes avec les autres.

Qui est le plus heureux?

Ainsi, Maude entrera en contact de façon onirique avec des travailleurs étrangers qui fabriquent ses biens de consommation : un ouvrier nippon qui caresse les voitures pour en déceler les imperfections et l’employée d’un atelier de sous-vêtements en Inde.

Qui est le plus heureux dans cette chaîne économique mondiale? Qui est réellement maître de sa vie ? Rêve ou cauchemar?

L’espace de liberté

Pour évoquer l’étouffement de l’usine et l’aliénation du condo, les concepteurs ont opté pour une scène centrale dépouillée judicieusement éclairée par Cédric Delorme-Bouchard.

Les multiples protagonistes, brillamment incarnés par Macha Limonchik et Philippe Racine, apparaissent comme par magie aux côtés d’une Maude médusée, finement interprétée par Christine Beaulieu.

Le tout est enveloppé d’une efficace ambiance musicale signée Navet Confit.

Que signifie Nyotaimori?

Comme le Nyotaimori, cette pratique culinaire japonaise qui consiste à manger des sushis sur le corps dénudé d’une femme, la pièce de Sarah Berthiaume nous laisse un goût amer avec en prime la grande question : sommes-nous si libres que nous le croyons?

 Nyotaimori, création de La Bataille et mise en scène de Sarah Berthiaume et de Sébastien David, est à l’affiche du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 3 février.

Crédit photo: Valérie Remise